Pour que nos villes puissent survivre à la crise écologique actuelle, elles doivent se mettre à imiter les mécanismes du vivant et fonctionner comme des corps organiques : co-conçue, ouverte, intelligente, favorisant les processus circulaires, capable de muter avec le temps et d’accueillir la biodiversité… Bref, elles doivent devenir des « villes-métabolismes ».
Une ville qui fonctionne à la manière d’un corps, l’idée en soi n'est pas nouvelle : dans les années 1960 au Japon, le Mouvement métaboliste imaginait déjà des villes très étendues, flexibles, croissant de manière organique… Mais faute de technologies et d'une prise de conscience générale du problème écologique, cette vision, comme celles des autres pionniers de l’époque, est restée au stade d'utopie. Elle reprend toute sa force aujourd'hui avec l’avènement des objets connectés, du big data, et surtout l’imminence d’une rupture écologique majeure. Il faut désormais concevoir des « villes-métabolismes », capables de respirer, de s’adapter, de fonctionner de manière circulaire… Bref, de répliquer les mécanismes du vivant.
Depuis deux ans, le STREAM Lab, studio de recherche sur la ville de demain, a interrogé des dizaines d'anthropologues, de biologistes, d'urbanistes, de philosophes ou d'artistes, d’Harvard, du MIT, du Collège de France… sur ces mécanismes du vivant. Cette exploration vient d’être publiée dans Stream 04, Les Paradoxes du vivant et va être appliquée dans de nombreux projets architecturaux de PCA-STREAM et, je l’espère, d’autres agences.
La thèse principale de Stream 04 ? Dans tous les champs de recherche, on voit apparaître une même tendance : une nouvelle forme de relation avec la nature. L’homme a conscience de son impact sur la planète et craint désormais les conséquences de ses actes, mais il doit pourtant agir. Il commence donc à dépasser le dualisme nature/ culture, à ne plus se placer dans la maîtrise, voire l'exploitation de la nature, mais dans un système d'échange, de domestication responsable. Cette nouvelle relation a un grand impact sur notre façon de vivre, d'habiter, et donc sur nos villes. Ces recherches confirment la nécessité de concevoir la ville - qui concentrera bientôt 75 % de l’humanité -, comme une ville organique, vivante : une « ville-métabolisme ».
Qu’est-ce qu’une ville métabolisme ? Une ville qui cultive une grande mixité programmatique (habitation, travail, commerces et loisirs mélangés), de manière à créer les conditions de développement d'écosystèmes qui échangent entre eux et s’enrichissent. La croissance se fait alors de manière naturelle, organique. Les bâtiments deviennent non seulement capables de fonctionner de manière circulaire, consommant leurs propres produits et recyclant leurs déchets, mais également de muter dans le temps selon la nature de leur activité et l'évolution des conditions. Comme un être vivant, en somme.
Comment construit-on une « ville-métabolisme » ? D’abord en la co-concevant avec ses habitants (futurs locataires, riverains, visiteurs, entreprises...) et en faisant intervenir très en amont une large palette de concepteurs (paysagistes, sociologues, économistes…), pour stimuler l'intelligence collective. Ces derniers doivent s’appuyer sur les milieux existants (le terrain, les écosystèmes, le bâti existant, l'histoire du lieu...).
Ensuite, il faut concevoir l'architecture non plus comme un objet figé mais comme une forme ouverte sur son environnement ; une membrane qui accueille et laisse passer les flux, l'air, les êtres vivants ; une structure évolutive faite de trames flexibles qui s'adaptent à l'imprévu, à l’évolution des usages ; un bâti rendu intelligent et vivant grâce à la data (sans toutefois l'enfermer dans une approche algorithmique trop mécanique).
Enfin, il faut dépasser la simple végétalisation, cosmétique ou démagogique, pour introduire de la biodiversité, de l’agriculture urbaine, utiliser de nouveaux matériaux, hybrides pour certains (bois augmenté, béton végétalisable... ), etc.
C'est d'hybrider tout cela, et plus encore, qui rendra nos bâtiments, nos habitations, nos bureaux et nos villes vivantes.
Philippe Chiambaretta est le fondateur de l’agence PCA-STREAM, et le concepteur de la future tour Total à la Défense, de l'immeuble #cloud.paris (siège de Facebook et BlaBlaCar), mais aussi en charge de la restructuration du 52 Champs Elysées (ex Virgin Megastore) qui accueillera un futur grand magasin des Galeries Lafayette en 2019. C’est l'un des rares architectes à disposer de son propre studio de recherche, le STREAM Lab, qui a déjà fait contribuer à ses publications plus de 150 scientifiques et penseurs du monde entier. Il a publié ses dernières recherches dans Stream 04, les Paradoxes du Vivant (diffusion : Presses du Réel), et va les appliquer dans ses futurs projets, dont un bâtiment expérimental, le Stream Building, prévu pour 2022 face au futur Palais de Justice à Paris (17e).
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