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3 questions à Reza

3 questions à Reza

Régulièrement, le Who’s Who donne la parole à une personnalité. Le principe est simple : 3 questions, 3 réponses.
Quelques mots ou plusieurs lignes, libre à chacun d’y répondre selon son inspiration.

 

Il est certainement l’un des photojournalistes les plus connus au monde. Il a travaillé pour Newsweek, Time Magazine, Life et, depuis 1991, pour le National Geographic Magazine, a publié de nombreux livres, exposé aux quatre coins de la planète et reçu de nombreux prix (dont trois World Press Photo) et a mis son talent au service de son engagement humanitaire, se servant de son appareil photographique comme d’une arme.
Jusqu’au 15 octobre 2015, Reza présente une grande exposition urbaine sur les quais de Seine : Rêve d’humanité, pour laquelle il a confié son appareil à de jeunes adolescents réfugiés de 12 à 17 ans. Une manière particulièrement riche et poignante de mettre des visages sur des nombres, des regards sur des statistiques, de l’humanité dans les chiffres.


 


 

- De quoi êtes-vous le plus fier dans votre carrière ?


C’était il y a quelques temps, dans le camp de Kawergosk au Kurdistan irakien. Imaginez un camp peuplé de 15 000 réfugiés syriens qui ont tout perdu et se sont installés dans une grande précarité, sous une chaleur accablante en août 2013, fuyant l’horreur de leur pays en guerre. Ils y sont encore et le camp est devenu, comme tous les autres camps, une « ville précaire ». Parallèlement à mon métier de photographe, depuis décembre 2013, je mène à titre bénévole dans ce camp,  un projet de formation à la photographie destiné à une vingtaine de jeunes réfugiés âgés de 10 à 15 ans. J’ai apporté des appareils photos et je leur ai dit « apprenez à regarder autour de vous et utilisez cet outil comme un moyen  pour raconter votre vie. » J’ai formé un réfugié qui est mon relai et les encadre. J’y suis retourné plusieurs fois et ils progressent incroyablement. Récemment, lors d’une petite cérémonie de remise de leur carte de « reporter de camp » et de nouveaux appareils plus sophistiqués, en présence de leurs parents, une maman est venue vers moi, très émue et m’a dit : « Avec votre formation et vos appareils, vous avez rendu le sourire sur le visage de nos enfants. Ils ne se sentent plus réfugiés. » C’est sans doute ce dont je suis le plus fier.
 

 

- Quel(s) autre(s) métier(s) auriez-vous aimé exercer ?


J’aurais pu devenir architecte, et sortir d’un terrain en friche, des maisons, des gratte-ciel, des quartiers, des villes, des empires.
Mais j’ai choisi l’ineffable, ce qui se voit, ce qui se lit, ce qui dénonce, ce qui émeut, ce qui raconte sans un mot : la photographie comme langage, le photojournalisme comme engagement.
J’aurais pu gravir les échelons dans ce monde de l’image, couvrir les guerres et raconter le monde, me cantonner à mon métier, ma raison d’exister, mon rôle de photo reporter reconnu, de correspondant de guerre.
Oui, j’aurais pu. Mais, à l’échelle de l’Humanité, les empires redeviennent poussière, et le témoignage n’est qu’une étape dans mon combat contre l’injustice et pour un monde meilleur.
Je suis devenu correspondant de paix par le témoignage et la formation.

Quand se taisent les canons de la guerre, que les armées se retirent, l’urgence impose une reconstruction tangible. L’armée des hommes en pelles se met en marche s’attachant à ne plus laisser aucune trace de ruine : routes, maisons, écoles, cliniques sont autant d’infrastructures auxquelles nombres d’organisations non gouvernementales se consacrent. D’autres, avec dévouement, pansent les corps qui ont souffert : prothèses, opérations, vaccinations, bandages, béquilles… On remédie aux handicaps et aux souffrances physiques laissés par la guerre.
Cependant, dans le secret des dignités atteintes, il est une destruction invisible : les blessures de l’âme restent des plaies aussi béantes qu’invisibles, ancrées au plus profond des êtres et peuvent, à long terme, anéantir les efforts de reconstruction physique d’un pays et empêcher une nation toute entière de se relever.
La culture de la guerre engendre la guerre. Celui à qui on ne donne pas d’armes intellectuelles et culturelles retournera à son unique référence : le bruit assourdissant des fusils et des canons. Sur la route de mon engagement bénévole humanitaire, j’ai mis la formation et plus particulièrement celle des femmes et des enfants aux métiers des médias, de la culture, de l’image, là où la liberté d’expression reste une valeur fragile.
Je n’ai pas renoncé à un métier : je reste photographe, architecte (dont j’ai suivi les études) dans l’âme, et plus que jamais, je souhaite continuer à œuvrer bénévolement pour l’éducation des enfants qui seront les adultes de demain, et la formation des femmes, actrices principales de la paix.
Entre témoignage et action, je poursuis ma route de pèlerin dans un monde que je souhaite voir sans frontière et sans guerre.

 

 

- Avez-vous un ou des modèles ? Une personnalité qui vous a inspiré ?


J’ai plusieurs modèles connus et inconnus qui m’ont forgé et m’influencent encore. Parmi les modèles connus, voici des citations emblématiques de leur pensée.
Du poète persan du XIIe siècle, Sa’adi, je conserve :
« Tous les êtres humains sont membres d’un même corps ;
Si le sort s’acharne contre l’un d’eux,
Alors, les autres ne peuvent rester en paix.
Celui qui reste indifférent à la souffrance d’autrui, ne mérite pas de faire partie de notre famille humaine. »
De Gandhi, je suis marqué par : « Si nous devons transmettre une paix réelle en ce monde, et si nous devons mener une véritable guerre contre la guerre, alors commençons par les enfants. »
De Mandela, j’ai été inspiré par sa capacité de résistance et son combat pour le respect de son peuple.
De Martin Luther King, je garde précieusement : « I have a dream… »

Nombreux au fil de ma vie, ont été les modèles inconnus, ces femmes et ces hommes, qui, dans les moments les plus difficiles, ont accueilli le passant que j’étais, avec générosité et ont partagé avec moi ce qu’ils n’avaient pas.
Enfin, ma plus grande leçon de vie vient sans doute d’un enfant.
Un jour, je me souviens, en 1990, alors que je travaillais pour les Nations unies dans les provinces afghanes de Badakhshan, Takhar, Baglan, Kunduz, que je distribuais du blé pour reconstruire des routes, des canaux d’irrigation, des cliniques… j’ai entendu le bruit de quelques enfants. Je me suis retourné et j’ai croisé le regard d’un garçon qui sortait de l’école avec une petite plante dans sa main. Cette plante, il avait appris à l’école à en prendre soin et à la faire pousser. Dans son regard, il y avait toute la fierté de cette jeune pousse. Quand j’ai pris la photo, je lui ai dis : « qu’est-ce que tu vas faire de cette plante ? » Sa réponse est la plus inspirante que j’ai reçue dans ma vie car elle venait d’un enfant qui n’avait connu que la guerre et qui conservait une foi inébranlable en la vie et l’avenir : « Je vais en faire un arbre. »
 

 

- Question subsidiaire : quelle question auriez-vous aimé que l’on vous pose et quelle en serait la réponse ?

Quel est le salut de l’Humanité ?
Le salut de l’Humanité sera selon moi, dans une paix universelle qui ne peut arriver que lorsque l’homme cessera d’être avide de pouvoir et d’argent.



 


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