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La langue française dans les organisations internationales : le dernier contre-pouvoir ?

La langue française dans les organisations internationales :  le dernier contre-pouvoir ?


Dans un environnement globalisant où l'hégémonie de l'anglais se fait chaque jour un peu plus sentir, le français est, compte tenu de cette singularité, le seul contre-pouvoir possible.

 

Pour comprendre la place qu'occupe le français dans le fonctionnement des organisations internationales (OI) il faut tout d'abord appréhender la mécanique linguistique de ces environnements. Une langue peut y être officielle, de travail ou de communication. Les langues officielles sont celles que les représentants des pays membres peuvent formellement utiliser pour s'exprimer lors des grandes conférences internationales ; les langues de travail sont celles que les fonctionnaires doivent et peuvent utiliser au quotidien ; et les langues de communication sont celles qui peuvent s'avérer nécessaires à l'accomplissement des missions des organisations. La Banque mondiale par exemple n'a que l'anglais comme langue officielle et langue de travail. Il suffit pourtant de visiter son site internet pour constater que d'autres langues « de communication » ont également leur importance dans ses activités.

A ces dimensions statutaires et opérationnelles il faut ajouter trois autres éléments importants. La langue du pays d'accueil, les langues d'origine des fonctionnaires internationaux et leurs usages linguistiques professionnels. Plus que les décisions institutionnelles formelles, ce sont les influences conjuguées de l'ensemble de ces éléments qui définissent la culture linguistique propre à chaque organisation internationale.

 

 

La place particulière du français

 

Si l'on examine un à un chacun de ces éléments, on prend conscience de la position particulière du français. Lorsqu'une organisation internationale a plusieurs langues officielles, le français est toujours l'une d'entre elles. Il en va de même pour les langues de travail et les langues de communication. Cela est déjà en soi une position remarquable que seul l'anglais partage. Espagnol, arabe, chinois et russe par exemple forment avec anglais et français les six langues officielles de l'ONU mais seules ces deux dernières sont langues de travail. Les instances européennes quant à elles ont effectivement 23 langues officielles mais seules l'allemand l'anglais et le français sont langues de travail. En ce qui concerne la langue du pays d'accueil, on constate que près de la moitié des 170 000 fonctionnaires internationaux du monde sont postés dans des villes francophones comme Luxembourg, Bruxelles, Genève ou Paris pour ne citer que les plus importantes en densité d'OI. Pour la langue d'origine des fonctionnaires, le même constat est de rigueur. La France étant, après les États-Unis, le pays le plus représenté en nombre de fonctionnaires internationaux (un peu plus de 10 %), la proportion de francophones est de facto importante. Enfin, en ce qui concerne les cultures professionnelles, certains environnements sont propices à l'usage du Français. Les grandes entités juridiques, comme la Cour pénale internationale (CPI) ou la Cour internationale de justice (CIJ) par exemple, fonctionnent sur le socle mixte du droit romano-germanique civiliste d'origine française et du droit coutumier plus jurisprudentiel de la tradition anglo-saxonne.

Globalement on peut donc conclure que le français a une position importante, égalée seulement par l'anglais, sur tous les aspects formateurs de la culture linguistique des OI.

 

 

Le cadre linguistique global du multilatéral

 

Ce constat étant fait, pour apprécier la place du français, il faut aussi prendre en compte les grandes tendances linguistiques globales qui dominent actuellement le fonctionnement des OI. Il n'est un secret pour personne que celles-ci sont, pour de multiples raisons culturelles, politiques, économiques, budgétaires et autres, de plus en plus exclusivement anglophones. Ce phénomène met pourtant en danger la diversité nécessaire à leur bon fonctionnement. Il est illusoire d'imaginer qu'un service juste pour tous puisse être rendu avec la langue et les modèles d'un seul. Le croire serait mal connaitre la réalité du monde. Le monolinguisme et ses travers culturels et conceptuels ne peuvent que nuire à l'équilibre de représentativité des Etats au sein des OI et donc à leur capacité à remplir correctement leur mission.

 

 

Le rôle du français

 

C'est par le biais de la conscience de l'actuel déséquilibre qui s'installe au sein des OI et de la singularité de sa position qu'il faut comprendre le rôle stratégique du français en milieu multilatéral. La langue française est en effet à ce jour le seul contre-pouvoir linguistique. Pourtant les choses sont rarement montrées sous cet angle. Dans les faits, ceux qui abordent le sujet ont plutôt tendance à se concentrer sur les aspects institutionnels, à parler de sa défense ou de sa promotion en se référant à son histoire, aux valeurs qu'elle représente. L'argument est noble et valide mais il place le débat sur un plan trop peu opérationnel, presque philosophique, éloigné des aléas du quotidien et du pragmatisme assumé des actuelles cultures professionnelles des OI. Dès lors, perçu comme extérieur aux priorités, minimisé en termes de risques, exclu par la dictature de l'urgence, le sujet reste relégué au second plan.

Les dangers sont désormais trop réels, trop inquiétants pour continuer à présenter les choses exclusivement de cette façon. Il faut montrer le rôle actuel du français sous son vrai jour pour amener les acteurs à regarder la réalité en face malgré les habitudes, malgré la modélisation de la mondialisation, malgré l'obsession budgétaire, malgré le réflexe de la standardisation, malgré l'inconfort de la nouveauté, malgré les convictions subjectives de décennies de modélisation professionnelle. Il ne faut plus seulement parler de la défense de la langue française mais aussi et peut être surtout de la langue française qui défend! Qui défend la nécessaire diversité, qui défend la représentativité des peuples et nations et donc ultimement qui défend l'équilibre démocratique de la gouvernance mondiale.

De fait la langue française est le dernier contre-pouvoir. Contre-pouvoir agressé, faiblissant, mais contre-pouvoir résistant face au pouvoir dominant.

Et que deviendrait un monde sans contre-pouvoir ?

 

 

 

Dominique Hoppe

Président de l'Assemblée des francophones fonctionnaires des organisations internationales (AFFOI)

Président du Conseil supérieur des francophones fonctionnaires internationaux

Biographie liée

  • Voir la biographie de Dominique Hoppe Président d'organismes professionnels > ASSEMBLÉE DES FRANCOPHONES FONCTIONNAIRES DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES (AFFOI) > OFFICE EUROPÉEN DES BREVETS (OEB)

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