L’Egypte… Une chaleur énorme… Un ravitaillement inexistant… Peu d’eau… Des tribus en perpétuelle insurrection… Des actes de terrorisme où toutes les armes sont employées… Des épidémies à répétition…
Une contrée étrangère loin des proches des soldats… Le désœuvrement… Plus le temps passe et plus le moral est bas… Autant d’éléments favorables à l’oubli dans des paradis artificiels justifiant l’absorption de substances illicites. Au cours de la campagne en Egypte, les soldats français découvrent malheureusement le haschisch, ses mirages et ses risques. Les médecins de la section de physique et science naturelle de l’Institut d’Egypte constatent les effets locaux ravageurs de la consommation du chanvre. Il y est mélangé à de l’opium ou à de l’hellébore. L’ensemble est présenté sous forme de confiture que les autochtones appellent le dyâsmouck (ou « médicament musqué »), car y étaient inclus du musc, du girofle et d’autres essences. D’ailleurs, de retour de la campagne d’Egypte en 1801, Desgenettes (1762-1837) présente pour études, à l'Académie des sciences, les premiers échantillons de haschisch jamais rapportés en France.
Il existe une longue tradition orientale du haschisch qui déferle dans tout l’Orient, de la Syrie à l’Egypte, dès le XIème siècle. En 1378, l’émir ottoman Soudoun Scheikhouni décrète un des premiers textes de loi interdisant son usage. Mais la progression se poursuit vers le Maroc, puis l’Espagne où l’Inquisition, dès le XVIème siècle, tente de faire barrage à l’« épidémie ». Le premier texte sur le sujet paru en Occident a été écrit par un médecin portugais, Garcia da Orta (1500-1568). Il s’intitule Colloque des simples et a été publié en 1563. Après la mort du médecin, son corps et son livre sont malgré tout brûlés par l’Inquisition en autodafé.
Constatant les dégâts causés par cette substance sur ses hommes, ayant de plus été agressé peu après son arrivée en Egypte par un fanatique musulman en état d’ivresse cannabinique, Bonaparte a pris en conséquence la décision d’interdire « l'usage de la liqueur forte faite par quelques musulmans avec une certaine herbe nommée haschisch, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre. » L’agression serait, d’après Max Gallo, survenue au moment de l’entrée à Alexandrie, le 1er juillet 1798. Un musulman aurait tiré depuis une maison sur Bonaparte à cheval, qui aurait reçu la balle dans sa botte gauche. Le général n’aurait pas été blessé. L’agresseur, entouré de six fusils, a été abattu. Tous les auteurs consultés, du moins ceux qui en parlent, font état de cet événement dans les jours qui suivent l’entrée de Bonaparte à Alexandrie.
Sous l’injonction de Bonaparte, le général en chef Abdallah Jacques Menou aurait promulgué un ordre du jour du 17 vendémiaire an XI (9 octobre 1800). Cette ordonnance entendait mettre un terme à la consommation de haschisch et de graine de chanvre par les soldats du corps expéditionnaire. Pour la première fois, il est fait ouvertement mention du cannabis et de ses risques dans un texte :
«Art. 1. L'usage de la liqueur forte faite par quelques musulmans avec une certaine herbe forte, nommée haschischa, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre, sont prohibés dans toute l'Egypte. Ceux qui sont accoutumés à boire cette liqueur et à fumer cette graine perdent la raison et tombent dans un violent délire qui souvent les porte à commettre des excès de tout genre.
Art. 2. La distillation de la liqueur de haschisch est prohibée dans toute l'Egypte. Les portes des cafés, des maisons publiques et particulières dans lesquelles on en distribuerait seront murées, les propriétaires arrêtés et détenus pendant trois mois dans une maison de force.
Art. 3. Toutes les balles de haschisch qui arriveraient aux douanes seront confisquées et brûlées publiquement», etc.
Une peine de prison de trois mois a été décidée pour tous les auteurs d’infractions à ce décret.
En 1840, le docteur Louis Aubert Roche publie son célèbre ouvrage De la peste et du typhus d’Orient, où il préconise l’emploi du haschisch comme remède médical de choix contre certaines maladies contagieuses.
La première loi française qui réglemente la cession des substances vénéneuses afin d’en limiter la vente - et les empoisonnements - n’est votée que le 19 juillet 1845. Le 29 octobre 1846, sur arrêté royal, une classification des substances « vénéneuses » est réalisée sur un tableau unique incluant l’arsenic, l’opium et la morphine. Un premier texte, qui aurait vu le jour en 1682, avait pour objectif de prévenir les empoisonnements à l’arsenic.
Bonaparte est donc bien le précurseur en France en matière de lutte contre la drogue.
Chirurgien-dentiste
Chercheur au Centre François Viète d'histoire des sciences et des techniques de l'université de Nantes
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Extrait du livre de Xavier Riaud, Napoléon Ier et ses médecins, L’Harmattan, Collection Médecine à travers les siècles, Paris, 2012.
Prix histoire de la médecine de l’Association des Amis du musée du Service de santé des armées au Val-de-Grâce, 2012.
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