Les thèmes qui ont dominé la campagne étaient ceux de la sécurité du pays et ses véritables frontières, c’est-à-dire la politique d’implantations. Les Israéliens, de gauche comme de droite, rejettent l’idée même de colonisation, arguant qu’on ne peut pas être accusé d’être étranger chez soi, c’est-à-dire en terre d’Israël. Qu’on soit ou non d’accord avec cette présentation des choses, il faut aussi tenir compte de la situation démographique du pays (un Etat qui se veut juif, c’est-à-dire où l’appartenance religieuse est un fait incontournable) et la crainte de la suffocation territoriale : en clair, un Etat palestinien dont la population connaîtrait une croissance exponentielle constituerait, à terme, un danger mortel pour l’Etat d’Israël. C’est ce constat, dont on a peu parlé, qui a motivé la décision d’Ariel Sharon d’évacuer unilatéralement Gaza. Il était devenu impossible de comprendre dans les frontières élargies d’Israël une telle population.
A côté de la politique des implantations (hitnahalut), il y a le problème arabe, c’est-à-dire des Palestiniens ayant la nationalité israélienne. On en parle peu en Europe, mais il faut bien reconnaître qu’en Israël la question obsède les citoyens. Et Benjamin Netanyahu a bien pris conscience de ce problème au plan électoral puisqu’il a laissé se développer sur sa droite un parti nouveau dirigé par son ancien chef de cabinet, Naftali Bennett, qui prospère justement sur de tels thèmes.
Certes, la majorité à la Knesset sera, comme toujours en Israël, issue d’une coalition et le Likoud et les partis religieux devront composer avec les forces de centre gauche et de gauche. Mais la paix ne sera toujours pas visible à l’horizon. Le Premier ministre israélien n’en est pas le seul responsable. Il tient compte de certaines configurations et de certaines mentalités dont on ignore tout à l’extérieur des frontières d’Israël : quand on remonte de la mer Morte en direction de Jérusalem et qu’on aperçoit les immeubles de Ramallah ou d’autres villages palestiniens, on est saisi par l’effrayante proximité, voire l’intime enchevêtrement des lieux.
Que la vie serait belle dans cette région du monde où Dieu a fait sa révélation, a fait connaître à l’humanité tout entière son message, message que les hommes, dans leur folie, se sont empressés de diviser avant de se diviser eux-mêmes de manière irrémédiable…
Mon regretté maître et ami, le professeur Roger Arnaldez, avait jadis écrit un très beau livre au titre évocateur : Trois messagers pour un seul Dieu (Albin Michel, 1983). Un jour, alors que nous prenions un verre ensemble près de la bibliothèque du Saulchoir (des Pères Dominicains) où il aimait travailler, je m’étais trompé en disant du même Dieu au lieu d’un seul Dieu… Il m’avait alors, avec la bonté et l’amour du prochain qui le caractérisaient, expliqué la différence : Dieu n’est comparable à nul être, il est, sans être, tout en étant, on parle donc d’unicité (seul dans son espèce, un peu comme le soleil) et non de «mêmeté ».
Mais c’est un abîme qui sépare la spiritualité du monde de la politique. Il est tout de même déplorable de voir que les Juifs et les Arabes, que tout devrait rapprocher, sont devenus des ennemis irréconciliables. Chaque soir, lorsque j’écoute les chaînes satellitaires arabes, je m’amuse à traduire instantanément en hébreu ce que j’entends en arabe : les deux langues, celle d’Israël et celle d’Ismaël, appartenant au même groupe linguistique nord-sémitique, sont si proches… Je remonte alors vers les racines communes en passant par l’araméen (la langue de Jésus) pour aboutir à une langue proto-sémitique.
Comment des gens qui parlent presque la même langue peuvent ils se détester à ce point ? Cette philologie est passionnante, mais elle aussi se situe à des années-lumière de la réalité politique ou territoriale, lorsqu’il s’agit d’installer un village ou un kibboutz dans une portion de la terre d’Israël. Les philologues n’ont encore jamais dirigé la moindre entité politique…
Que faut-il espérer ? La paix, bien sûr, mais aussi que le cœur des hommes soit touché par la Grâce. L’apport d’Israël peut être une chance, une bénédiction pour la région. Une amitié judéo-arabe peut naître, elle est inscrite dans les faits. Même si elle tarde à venir.
Maurice-Ruben Hayoun
Philosophe, Ecrivain, Professeur aux universités de Genève et de Strasbourg
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