Lorsque nous avons lancé le baromètre Paris Workplace en 2014 avec l’Ifop, nous n’imaginions évidemment pas vivre un jour une période comme celle que nous traversons. C’est pourtant dans ce type de situation que notre démarche opiniâtre d’étude sur l’environnement de travail prend toute sa valeur ; les confinements ont mis au jour des tendances que nous mesurions depuis des années mais qui restaient dans l’ombre, comme si elles attendaient des circonstances particulières pour se révéler pleinement.
Cette année 2020 est donc l’occasion pour moi de faire une « super-synthèse » de 7 années d’enquête en matière de bureau et d’organisation du travail. Trois faits majeurs devraient nous inspirer pour la décennie à venir.
D’abord, les confinements nous ont rappelé notre condition : l’être humain est un animal social. Nous avons besoin de nous voir et de nous parler « en vrai » et le manque de contact avec nos semblables nous appauvrit voire nous assèche (cf le Paris Workplace 2019 consacré aux interactions au bureau). Le lieu de travail n’est pas simplement une unité de production. Une vérité que chacun suspectait mais dont on ne tirait pas toutes les conclusions en termes d’aménagement et d’organisation du travail. Désormais, faisons le pari que les dirigeants vont se poser sérieusement la question : « comment faire pour que mes bureaux maximisent la quantité et la qualité des interactions ». Ceux qui trouveront la réponse auront tout bon : plus de bien-être, plus d’efficacité et plus de fidélité des collaborateurs – les enquêtes démontrant de façon persistante la corrélation parfaite entre qualité des interactions au travail et performance.
Ensuite, la mobilité – au bureau et en dehors du bureau - va devenir la norme. Et bonne nouvelle : cette mobilité sera créatrice de valeur. (cf Paris Workplace 2018). Chacun a compris que travail à distance et présence au bureau allaient désormais cohabiter, certes avec une intensité diverse selon les métiers et les organisations. Attention : il ne s’agira pas de juxtaposer deux situations d’immobilité - « je reste chez moi toute la journée », puis « je reste au bureau toute la journée » - mais bien d’encourager et gérer au mieux les interstices. La clé sera désormais la mobilité intra-day : les salariés ne veulent ne pas rester assis à leur bureau – c’est prouvé, ceux qui travaillent à 3 endroits distincts ou plus au sein de leurs locaux sont plus efficaces que les autres – ils veulent aussi pouvoir sortir dans le quartier, de la même manière qu’ils veulent aussi sortir de leur domicile pour profiter de tiers-lieux, etc.
Les quartiers centraux et bien desservis en transports verront leur attractivité renforcée. Les salariés, notamment les plus jeunes, fuient désormais les jobs qui les contraignent à plus de 2h de trajets par jour… une majorité d’entre eux se déclare même prêts à réduire leur rémunération pour travailler à moins de 20 minutes de leur domicile. A contrario ils plébiscitent la « bonne » mobilité, celle qui leur permet d’avoir accès en quelques minutes, si possible à pied, à une série de services et de commodités dans leur quartier de travail.
Enfin, et c’est la suite logique des deux premiers points (sociabilité + mobilité) le bureau de demain sera dans la cité et même mieux que cela, il en deviendra l’un des moteurs. Le quartier de travail sera un incontournable de la décennie à venir : mixte, vert, vivant, il mêlera des flux divers toute la journée, s’affranchira des fameux mouvements pendulaires qui ont trop marqué nos villes et nos quartiers de bureaux. Il sera un espace social et « consommable » pour les travailleurs, qui y prendront des verres avec les collègues, pourront y acheter leurs cadeaux de noël, y pratiquer leur sport favori, ou se faire couper les cheveux, se rendre chez le médecin : autant d’activités que l’on pratiquait davantage dans son quartier de résidence et qui désormais se mêleront à la vie professionnelle ordinaire. Le bureau profitera du quartier et en retour fera profiter le quartier de son dynamisme, de sa qualité architecturale, de ses pieds d’immeubles, de ses services (restauration, conciergerie, auditoriums etc.) et de son exemplarité environnementale. L’air de rien, il contribuera à transformer le visage de nos villes pour les rendre un peu plus conviviales et sociables.
Alors gageons que cette période si douloureuse aura quand même quelque chose de vertueux. Je suis convaincu que les entreprises qui ont su promouvoir ces tendances avant la crise en seront récompensées, en 2021 elles verront leurs salariés revenir au bureau avec enthousiasme. Et pour celles qui ne s’y étaient pas encore mises, il n’est pas trop tard : une nouvelle décennie s’ouvre et puisque beaucoup de perspectives sombres nous entourent, efforçons-nous au moins à notre échelle de bâtir des environnements de travail favorisant l’éclosion de communautés humaines un peu plus soudées, vivantes et ouvertes.
Dimitri Boulte
Directeur général délégué de SFL
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